J’ai froid. J’ai vraiment très froid et ça me réveille. Je remarque que Halide a déposé un radiateur en face de mon lit, mais rien n’y fait. Eux aussi ont froid, c’est pourquoi ils dorment tous dans le salon devant le même radiateur que le mien, à savoir une sorte de longue résistance qui chauffe de près, mais qui n’est pas prête de me réchauffer. Je ne suis pas un fromage à raclette, je décide de me lever.
Il doit être midi et Halide, Yilmaz et Batin sont collés à la télé lorsque j’ouvre la porte du salon. La même expression dans leurs yeux en me regardant, triste et désolé à la fois. Je regarde à mon tour la télé et remarque avec étonnement que la chaine info balance en continu des images de Paris. Batin me dit qu’il y a eu une fusillade touchant des reporters et des dessinateurs qu’il n’a pas trop compris. Mon téléphone qui était en silencieux s’allume régulièrement et je comprends que quelque chose de grave est arrivé.
Les noms de Charlie Hebdo, Cabu, Charb, sont évoqués et là je réalise entièrement. Je m’assois, prends le thé, avec eux. Même eux sont sous le choc. L’image, le son, tout y est. La télé turque a ça de caractéristique qu’il n’y a quasiment pas de filtres, sur les images à part peut-être sur l’alcool, la cigarette et le sexe. Batin et Yilmaz ont ce réflexe con mais terriblement humain de s’excuser car étant musulmans ils se sentent coupables.
Je vois et revois ce pauvre flic se faire allumer à bout portant, puis des rumeurs sur le métro parisien, la gare du nord. La panique. J’envoie des messages à mon frère, qui est bien rentré, à mes amis parisiens, qui n’ont rien.
Nous sortons afin de profiter un peu de l’air frais et Batin me redit qu’il est désolé, que pour eux la France est intouchable. Que eux ont l’habitude vu leur pays, vu le président, vu les voisins…
On s’arrête et je prends une bière en regardant la mer, lui un thé. Il est essoufflé, les traits tirés. Je vois qu’il ne va pas bien. Il me sourit et me dit que ce soir il y a un super concert et qu’on va s’éclater.